LE BUT
L'idée de cette recherche est née d'une difficulté, rencontrée quotidiennement dans la pratique pédagogique. L'enseignant, pour expliquer une faute d'aspect, est trop souvent amené à dire : « Ce n'est pas l'usage », « Le Russe pense cette situation autrement ». L'étudiant, même en consultant toutes les grammaires mises à sa disposition, peut faire un raisonnement erroné. Ainsi ayant appris que l'aspect imperfectif traduit la durée, une action qui se déroule pendant un certain temps, l'étudiant écrira en toute logique : B Капитанской дочкеПушкин правдиво *изображал образ Пугачева [faute citée par Спагис [voir Bibliographie]. Ou bien : Он уже давно *замечал мелькающий вдали огонек. Ou encore, puisque le perfectif correspond à une action « achevée », considérée dans sa totalité : После обеда дети *помогли колхозникам, a вечером пошли гулять.
Dans les trois cas, l'erreur provient, comme nous le verrons plus loin, d'une mauvaise interprétation des particularités sémantiques des verbes employés. Il a donc paru important d'éviter, autant que possible, les descriptions, même exhaustives, des aspects pris séparément, du genre : « L'imperfectif peut traduire le déroulement d'une action, l'action habituelle, le fait général, le fait multiple, etc. Le perfectif peut traduire l'action considérée dans sa totalité, l'action unique, le fait concret, etc. » Par contre, on mettra l'accent sur l'opposition aspectuelle : l'unique s'opposant au multiple, le particulier au général, etc.
D'un autre côté, on cherchera à dégager les principales particularités sémantiques qui peuvent jouer un rôle dans le choix de l'aspect. Ainsi, on compte proposer à l'étudiant qui hésite dans l'emploi d'un aspect, lors d'un discours écrit ou oral, la démarche suivante :
1) Préciser au maximum la sémantique du verbe qu'il s'apprête à employer et pour cela éliminer les homonymes :
Он брал такси.
Дорога брaла влево.
2) Restituer le verbe par rapport au contexte général : proposition indépendante ou subordonnée, actions successives ou simultanées, etc.
3) A l'aide d'une dizaine de critères définis plus loin, trouver la classe sémantico-aspectuelle.
4) Selon les possibilités d'expression qu'offre cette classe :
a) déterminer, d'après la situation exprimée par le contexte, la réalité objective : « telle action a eu lieu une seule fois », par exemple.
b) toujours en accord avec la situation exprimée objectivement, ou bien en accord avec la volonté du sujet parlant, déterminer quelle partie du discours doit être mise en relief
par le choix aspectuel : « telle action a eu lieu une seule fois » à distinguer de « telle action a eu lieu une seule fois » [cf. plus loin la définition de l'éclairage aspectuel].
c) comparer les deux significations possibles (imperfectif et perfectif) appliquées au verbe que l'on va utiliser, et procéder au choix.
5) Si les possibilités d'expression ne correspondent pas à l'intention du sujet parlant, avoir obligatoirement recours à un terme ou une structure syntaxique, définis plus loin comme « facteurs réfringents », par exemple он говорил долго (однажды), зря он говорил. Le rôle de l’opposition thème / rhème est souvent un facteur réfringent.
Pour l'étudiant, il s'agira donc beaucoup moins de comprendre ce qu'est l'aspect, que d'apprendre à se servir d'un tableau de classification où les oppositions binaires (verbes évolutifs / verbes non évolutifs, verbes duratifs / verbes non duratifs, etc. permettent d'établir des « circuits » de raisonnement. Certains de ces « circuits », à force de répétition, peuvent se transformer en automatismes. D'autres « circuits », plus rares, aideront l'étudiant en cas d'hésitation.
Cette classification, pour être pédagogiquement opérationnelle, devait être suffisamment complète ( tenir compte du plus grand nombre possible de verbes ) et précise ( donner des critères distinctifs sans équivoque ), mais rester simple ( ne pas écraser l'étudiant par de trop multiples sous-catégories ou exceptions ). Il en est résulté une certaine schématisation de la réalité linguistique, et bien des domaines n'ont pas été abordés. En fait, sans chercher à élucider théoriquement le problème de l'aspect, on a tenté de réduire la zone d'ombre qui le couvre, de l'examiner, en quelque sorte, avec une loupe plus grossissante que cela n'a été fait jusqu' à présent.
Parallèlement, on a cherché à mettre un peu d'ordre dans les nombreuses analyses de cas précis, disséminées à travers différents manuels, en les faisant entrer dans un schéma général.